Dans les années 1971-72, la salle centrale de
l’ancien atelier rue Käuzchensteig fut divisée en huit petits ateliers et louée
à des artistes. Notre série d’articles « Au cœur de l’atelier » vous en
présente quelques un(e)s.
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Tina Born et son œuvre Pantograph à l'atelier rue Käuzchensteig. Photo: Mathias Hornung, 2008 |
Tina Born
illustre comme peu d’autres le dynamisme exceptionnel de la scène artistique
berlinoise. Née en 1963 à Francfort, elle étudie les Beaux-Arts de 1988 à 1996
à l’Université des Arts de Berlin. Elle devient membre en 1996 du groupe
d’artistes « Stadt im Regal », qui travaille sur « la transformation
de la ville, l’architecture et l’habitation »
et participe à différents projets artistiques. De 2000 à 2002, elle enseigne à
l’Université de Cologne, puis à partir de 2014 à l’Université du Bauhaus de
Weimar, en collaboration avec Elfi Fröhlich. Ses nombreux séjours et voyages
d’études à l’étranger ont fait d’elle une artiste mondialement reconnue, comme en
témoigne sa participation à des expositions aussi bien sur la scène nationale
qu’internationale. Tina Born travailla de 2006 à 2011 à l’atelier rue Käuzchensteig.
Cette interview offre un aperçu de sa création artistique et de ses années à
l’atelier.
Kunsthaus Dahlem : Tina Born, merci d’avoir
accepté cette interview avec la Kunsthaus. Commençons par votre travail à
l’atelier: comment s’est passé votre séjour sur place ? Pouvez-vous nous
en dire plus sur l’œuvre « Pantograph » que vous avez créée durant
cette période ?
Déjà en 2008 lors
de ma première visite de la salle, dotée de dimensions impressionnantes, il
était clair pour moi que j’y travaillerais en utilisant cet espace. Lorsque la
commission du BKK Atelierbüro
m’a choisie, je ne pouvais plus contenir ma joie. Lors de ma candidature,
j’avais déjà développé un projet pour cet atelier très spécial, qui décrivait
le genre de travail que je me voyais y mener. Travailler avec un espace donné,
cela ne signifie pas seulement aborder ses particularités architecturales, mais
le lieu dans toute sa complexité, son histoire, ses changements et son
environnement. Dès le début, j’ai passé beaucoup de temps dans cet atelier,
afin de pouvoir m’y intégrer.
J’ai fait
l’expérience du lieu et de son environnement, de la forêt, à différentes saisons,
à différentes heures et avec des lumières différentes, je connaissais ses
bruits, son odeur et même certains animaux. Derrière le bâtiment habitait une
famille de renards et de temps en temps un écureuil ou un oiseau faisait son
apparition dans l’atelier. Aussi longtemps que le temps le permettait, le
portail d’entrée, cette gigantesque porte en chêne, était grand ouvert, ce qui
me donnait le sentiment de travailler de manière très libre. C’était tout
simplement fantastique pour moi. Je n’ai aucun problème avec l’isolement, même
la nuit ou lorsque la nuit tombe vite, je me sentais toujours très bien dans
cette salle, « seule dans les bois ». Au-delà de ça, l’atelier de la
rue Käuzchensteig était un atelier de sculpture exceptionnellement bien équipé,
avec des grues, une lumière parfaite et bien sûr énormément de place pour le
déploiement de mes travaux.
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Pantograph. Photo: Silke Helmerdig, 2008 |
J’ai très vite
commencé à concevoir mon travail en grande dimension et je voulais m’affirmer par rapport à
l’espace. Comme nous le savons, l’édifice a été érigé pendant la période nazie. A l’époque, je me suis souvent
demandé si les lieux pouvaient avoir un bon ou un mauvais karma. L’histoire du
lieu est liée au contexte du régime nazi, de la dictature, de la censure, de
l’ art politique, de la collaboration, de conceptions absurdes et
délirantes – un mélange extrêmement intéressant pour l’artiste que je suis.
D’une part, il y
a le coté enchanteur et idyllique du lieu tel que je l’ai perçu, mais aussi le
caractère mondain, imposant et muséal d’une salle lumineuse de dix mètres de
haut, semblable à un hall, décorée en partie de marbre ou de chêne, qui ont eu
une grande influence sur moi. D’autre part, il est indéniable qu’une ombre
plane sur l’ensemble. En pensant au sculpteur et artiste nazi Arno Breker,
l’histoire du lieu et le type de travail que je voulais y développer, je
voulais à tout prix éviter une démarche didactique, superficielle ou
accrocheuse.
Je pense qu’il
m’a été très bénéfique d’avoir le temps de me laisser imprégner par l’espace. Le
résultat, l’installation « Pantograph »,
est pour moi un travail qui commence par soulever des questions et se révèle
ensuite peu à peu au visiteur. Il exprime l’ambiguïté du lieu. L’intérieur et
l’extérieur peuvent être perçus grâce aux surfaces transparentes et
miroitantes, l’installation et le lieu ne font plus qu’un et peuvent, par leurs
différentes facettes, influencer le visiteur. Il n’y a rien d’envahissant, de
tonitruant, plutôt une sorte de clarté et de calme « zen », et en même
temps quelque chose de tranchant, comme une coupure au scalpel.
De l’installation au collage, de la sculpture au
dessin… Votre travail se distingue par une grande diversité de matériaux et de
techniques. Pourriez-vous nous expliquer ce choix ? La sélection d’un mode
d’expression particulier vous est-elle particulièrement chère et
pourquoi ?
Le choix du mode
d’expression est bien sur très important, plus exactement le message ou
l’ambiance que celui-ci transmet. Lors de l’élaboration d’une œuvre, je ne
commence pas par penser au matériel mais à l’idée, au thème, et je me demande
ensuite quels matériaux seraient les plus appropriés. Je suis parfois aussi
dans des situations où je ne peux pas me permettre ce luxe. Je dois alors
utiliser ce que j’ai à disposition. C’est ainsi que m’est venue l’idée des
collages de plans de Paris avec des citations par exemple.
Pour moi, l’acte
artistique est très lié à l’appropriation d’un certain savoir par l’artiste.
J’aime beaucoup me documenter, remonter dans le temps et travailler sur un
sujet. Je me rapproche peu à peu de l’œuvre de manière analytique et
sémantique, parfois je commence par écrire l’œuvre avant de la réaliser, mais
il est très important pour moi que l’œuvre parle d’elle-même. Lorsqu’un travail
est complètement expliquable et « interprétable », il ne présente
plus aucun intérêt.
Votre art semble être intimement lié à la nature –
vous utilisez des matériaux tels que le bois, l’argile, les plumes, les souches
ou feuilles d’arbre, vous vous inspirez de motifs naturels comme le soleil ou
les toiles d’araignée et vous installez même certaines de vos œuvres en pleine
nature. Comment décririez-vous la relation entre la nature et votre pratique
artistique ?
Je réalise
parfois des travaux dans des lieux ruraux et reculés, sans disposer de gros
moyens financiers, d’un atelier, d’un(e) assistante(e) ni même d’outils adaptés…
Je travaille alors avec ce que je trouve : quelques palmiers entre
lesquels est tendue une toile d’araignée, ou des feuilles d’arbre que je poinçonne
pour y inscrire un message.
Il s’agit moins
de la nature en elle-même que de ce qu’elle symbolise : le soleil comme
toute-puissance, la souche d’arbre comme mémento
mori… Mon cadre de vie est très citadin, mais l’art me porte parfois vers
des régions qui n’appartiennent pas à mon quotidien: dans le passé, vers des
contenus qui n’attirent pas souvent l’attention ou sont isolés dans des lieux
reculés, autant au sens propre que figuré.
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Kunsthaus Dahlem. Photo: Tina Born, 2009 |
Dans votre œuvre « Horses » vous citez
l’écrivain tchèque Bohumil Hrabal (1914-1997), dans « D&G » le
philosophe français Gilles Deleuze, dans « Grand Anse » le texte de la
chanson « I’m not done » de Fever Ray… Quel rôle jouent la
philosophie ainsi que d’autres formes d’art, comme la musique ou la
littérature, dans votre production artistique ?
En fait, tout ce
qui attire mon attention, me touche ou m’occupe, peut se retrouver évoqué dans
mon travail : la strophe d’un poème, une chanson, une observation dans
l’espace urbain (comme le dispositif de protection des bâtiments que j’ai
remarqué sur certains façades parisiennes et qui m’a inspirée l’œuvre « Cloture »),
un lieu, une biographie telle que celle de Sarah Winchester (1840-1922), qui
réhabilita une propriété très particulière… Mon approche a peut-être quelque
chose d’encyclopédique.
K.D : Indonésie, Espagne, Etats-Unis, Namibie…
Depuis le début de votre carrière, vous avez eu l’occasion d’effectuer de
nombreux voyages et séjours d’études à l’étranger. Lequel de ces voyages vous a
le plus influencée sur le plan artistique et pourquoi ?
T.B : Impossible
de n’en choisir qu’un. Lors de mon premier voyage d’études, j’ai trouvé
difficile de réaliser un travail avec un temps et des moyens limités. Certains séjours m’ont permis de réaliser
des travaux dont je fus ensuite très satisfaite, dans d’autres endroits il était quasiment impossible de
travailler. Il faut parfois choisir entre visiter le pays ou rester sur place
et travailler. Il peut être possible de faire les deux, mais pas
toujours.
Pour plus d’informations sur Tina Born et son
travail à la Kunsthaus: